Lettre de Maître Cognard à destination des élèves nouveaux et de leurs enseignants

 

Vous venez de vous inscrire dans un cours d’aikido. C’est un choix judicieux si vous souhaitez mieux vous connaître et ainsi, mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons.

 

En effet, l’aikido n’est pas un sport ou une activité physique mais une voie. Celle-ci n’a aucune portée religieuse ou idéologique mais, en revanche, elle nous introduit à une dimension spirituelle que je peux résumer ainsi : avoir le souci de tout autre, essayer de valoriser toute relation en impliquant au mieux sa conscience, s’harmoniser au quotidien.

 

Cette capacité s’acquiert en s’entraînant à mobiliser son énergie pour être le plus conscient possible du réel, c’est à dire avoir la force de rester dans son unité. Quand le corps, le coeur et la pensée ne font qu’un, nous pouvons appréhender le monde de manière directe et sans a priori, sans dogmatisme, sans créer d’illusion.

 

Chacun d’entre nous rencontre des difficultés au quotidien et se trouve parfois en souffrance. Celle-ci est la conséquence d’un sentiment d’incapacité à faire face ou à changer les choses.

Ce sentiment-là provient de ce que les évènements difficiles à vivre créent en nous une division.

Nous réagissons alors soit en augmentant notre niveau d’agressivité, contre les autres ou soi-même, ou en déprimant. C’est le résultat d’un réflexe archaïque, l’agression ou la fuite. C’est une étape importante dans l’aikido que d’apprendre à maîtriser ce réflexe.

 

La réponse que donne l’aikidoka à toute situation conflictuelle, que le conflit soit exporté vers autrui ou qu’il soit intérieur, est inséparablement technique et éthique. La technique nous permet de ne jamais nous soumettre à la violence, ni la sienne propre, ni celle des autres. Elle nous permet d’agir avec justesse et justice, sans blesser ni physiquement ni moralement l’agresseur, que celui-ci soit un autre que soi, ou une partie de soi. L’aikidoka ne considère pas son agresseur comme mauvais mais comme le révélateur d’un conflit inconscient qui relie l’un à l’autre. Dans le cadre d’un conflit interne, il se demande quelle est la part de soi qui agresse l’autre. Je prends comme exemple pour clarifier cette idée du conflit intérieur les comportements autodestructeurs, prise de risques inconsidérés, alcoolisation régulière, déconsidération systématique de soi. Dans un cas comme dans l’autre, l’aikidoka considère que l’ennemi n’est pas l’autre mais ce qui crée la violence entre celui-ci et soi, entre soi et soi. Il se pose la question suivante : qu’est-ce qui nous fait nous agresser ? Il identifie ainsi le véritable ennemi, faisant de son adversaire apparent un allié dans la résolution du conflit.

Vous l’aurez compris, nous sommes loin du sport, de sa rivalité et de ces jeux, même si l’aikido met en mouvement les corps et les armes pour extérioriser les difficultés intérieures et leur donner une réponse sans violence.

 

L’aikido est une discipline efficace contre les agressions, efficace pour faire circuler harmonieusement votre énergie, efficace pour rendre votre vie plus heureuse en améliorant votre santé et en diminuant vos tensions physiques et psychiques.

Quand on arrive dans un dojo de notre école, on est en droit d’être surpris par l’importance du rituel, par celle de l’étiquette et de la discipline. L’exotisme lié à ces outils de travail disparait vite et peut faire place à un sentiment d’incompréhension ou de rejet.

 

Ces outils sont pourtant indispensables : la discipline nous permet de comprendre et maîtriser les relations avec soi-même, l’étiquette amène de la conscience et de l’harmonie dans la relation aux autres, le rituel crée une conscience de la spatiotemporalité qui nous ouvre à la compréhension des espaces conscientiels, conceptuels et spirituels. L’aikido est fondé sur une autodiscipline comme tous les budo traditionnels et sur une alchimie constante entre un apprentissage guidé par un enseignant et une autodidaxie. L’expérience est le moyen d’accès à la connaissance et celle-ci ne peut être faite que dans un cadre défini. La discipline, l’étiquette et le rituel sont les garants de ce cadre. N’oubliez pas que ne pas définir le cadre d’une relation laisse la porte ouverte à tous les abus.

 

En outre, il est indispensable pour chacun d’avoir les moyens de se penser comme ce qu’il est vraiment, individu libre et partie d’un ensemble humain, et cela, non pas alternativement mais conjointement. Vous pouvez réfléchir à ce que ces outils comportementaux permettent cela, assurant le sécurité de cette liberté comme celle de cette appartenance.

Je vous propose d’y penser à partir de cet exemple : le dogi, vêtement d’entraînement traditionnel (appelé à tort kimono) est le même pour tous. Certains pourraient y voir une atteinte à leur droit de s’habiller comme ils le désirent. Pourtant, le dogi abolit tous les signes de différence de statut social et financier. Il crée une unité du groupe qui n’est ni esthétique ni exotique mais bien celle d’une égalité fondamentale. De même la discipline est la même pour tous et cela assied une égalité de droits fondée sur l’exercice d’un même devoir.

 

Les enseignants de nos dojos reçoivent tous une éducation dont les fondements sont le respect de la liberté individuelle et l’engagement dans la formation de leurs élèves. Ces deux axes ne sont jamais opposés, l’aikido ayant pour but unique de libérer « l’être en soi ».

 

Ils savent qu’enseigner, c’est dire où l’on regarde, d’où l’on regarde sans dire ce que l’on voit.

Ils savent aussi que former quelqu’un à la technique sans lui donner les moyens de s’en servir est une duperie. Ces moyens sont l’énergie et un esprit fort. C’est pourquoi nous ne dissocions jamais le développement de la force du mental et de l’esprit de l’enseignement de la technique. Nous ne voulons pas former des colosses aux pieds d’argile.

 

Vous êtes entrés dans un processus d’autoformation qui répondra à vos attentes en matière d’accès à soi. Un des leitmotivs de notre enseignement est la légitimité de la recherche du bonheur.

Celui-ci se trouve dans l’équilibre entre notre passé et nos désirs, entre nous et autrui, entre nos émotions et celles des autres. Cet équilibre est le fruit d’une harmonie qui résulte elle-même d’un sentiment d’unité, dont la source se trouve dans la conviction intérieure d’être inconditionnellement et le désir d’exister.

 

Notre école, la vôtre à présent, est reconnue au plus haut niveau des arts martiaux traditionnels japonais. Nous sommes membre de la Dai Nippon Butokukai, organisation gouvernementale japonaise de tous les budo sous l’égide de la famille impériale. Quand vous aurez construit un sentiment d’appartenance à celle-ci, vous serez fiers d’être l’un de ceux qui oeuvrent pour faire de la pratique martiale un outil de développement de la paix dans le monde, de ceux qui défendent les valeurs de respect, intégrité, courage.

 

Faites votre notre maxime : Ni domination, ni soumission, ni compromis.

Je vous souhaite ce qui vous sera particulièrement utile dans votre pratique : courage, chance et maladresse.

 

Cognard Hanshi